Rouler en Traction avant

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Comprendre le 6 cylindres de la 15 SIX

On lit un peu partout, dans les ouvrages "spécialisés" ce commentaire rapide sur le moteur de la 15 SIX qualifié de "4 cylindres auquel on aurait rajouté 2 cylindres".


C'est arithmétiquement juste, mais mécaniquement inexact ou du moins pas aussi simple, aussi essayons de comprendre le fonctionnement de cette belle machine en observant ses entrailles et la théorie de son fonctionnement.

 

Un moteur à 4 temps réalise son cycle complet, par cylindre, sur 2 tours soit 720° (360° X 2). Jusque là, c'est très simple.

 

Afin d'obtenir un fonctionnement souple et régulier des moteurs multi-cylindres en ligne, on comprend que le vilebrequin va devoir être conçu par le constructeur de façon à partager ces 720° en autant de "parts" égales que de cylindres. Cela imposera donc un calage angulaire des manetons à 720/4 soit 180° pour un 4 cylindres et 720/6 soit 120° pour un 6 cylindres.

 

Nous ne sommes déjà plus dans la notion de "4 cylindres + 2" car impossible dans cette configuration d'avoir un vilebrequin plat comme avec des manetons à 180°.

 

Après ce partage équitable du travail angulaire dévolu à chacun des cylindres, se pose la question de l'ordre d'allumage, ou du séquencement des explosions, sachant que conventionnellement Citroën numérote les cylindres de ses moteurs du 1 côté volant (à l'avant) vers le 6 côté distribution (à l'arrière), ce qui est conforme à la norme B.N.A.

 

La régularité de fonctionnement, gage de vibrations minimales est indispensable sur une voiture haut de gamme comme la 15 SIX.

Une deuxième contrainte apparait du fait de la longueur du moteur: Le vilebrequin rallongé est moins compact et donc plus fragile à la fois en torsion et en flexion.

 

Ces deux impératifs imposent donc:

 

A-  Absence d'explosion consécutivement dans deux cylindres voisins

B-  Absence d'explosion consécutivement dans les cylindres du groupe AV, soit 1 2 3 puis AR soit 4 5 6 (1 2 3 ne peuvent donc se suivre en ordre d'allumage, en aucune combinaison possible, de même pour 4 5 6).

 

Citroën a ainsi retenu pour le moteur en ligne de sa 15 SIX, l'architecture quasi universellement adoptée à l'époque en répartissant les manetons sur 120° selon la disposition suivante:

 

-  1 et 6 sur un même plan, puis 3 et 4 et enfin 2 et 5. Un schéma est plus parlant, vu depuis l'AV du moteur:

 

 

vilo1501.png

 

 

 

 On comprend immédiatement que pour respecter les impératifs précisés en A et B, les ordres d'allumage sont à la fois la cause et la conséquence du sens de rotation du moteur.

 

1 5 3 6 2 4  pour une rotation à Gauche

1 4 2 6 3 5  pour une rotation à Droite

 

 

 Un petit exercice amusant, pour finir de se convaincre:

 

 

 

                                      1426351426351

 

 

 

Partez toujours du "1" au centre de la suite et amusez vous à lire cette séquence d'abord de gauche à droite, vous avez un 15 D puis ensuite de droite à gauche, vous aurez un 15 G

 

 

 

Ainsi, sont bien respectées à la fois l'absence d'allumage dans 2 cylindres voisins, et la  répartition alternativement AV et AR des explosions par groupe de 3 cylindres 123-456.

 

L'architecture du bas moteur est complétée, pour éviter toute flexion exagérée du vilebrequin, par 4 robustes paliers divisant les cylindres par groupes de 2.

 

 

                                                   coupe15.JPG

 

 

Intéressons nous au haut moteur maintenant, et en particulier à:

 

 

La culasse:

 

 

On a ici une conception très proche de celle du 4 cylindres, avec une particularité propre au 15 SIX sur la disposition des soupapes.

 

 

culasse.jpg

 

 

On voit sur le schéma la répartition de ces soupapes, et une chose apparait évidente:

 

La juxtaposition, sur l'axe médian du moteur entre 3 et 4, de 2 soupapes d'échappement côte à côte: C'est un des seuls défauts majeurs qu'on peut relever ici. En effet cela induit d'avoir les deux canaux d'échappement très proches sur le collecteur "6 en 2", et sa propension bien connue à se fendre en cet endroit n'a pas à notre sens d'autre cause et est attribuable à cette proximité des soupapes, et des contraintes thermiques trop importantes qui s'y exercent et non à un défaut de sa conception.

 

 

Culasse 11schema.JPG

 

Sur le 4 cylindre, la disposition des soupapes en milieu de moteur est la même, mais avec un écart bien plus sensible et un refroidissement interne plus efficace

 

 

 

L'alimentation nécessite elle aussi quelques précisions:

 

Nous avons vu en B- que les explosions se déroulent alternativement dans les groupes de cylindres 1 2 3 et 4 5 6, ce qui veut dire que le flux de mélange gazeux changerait de sens en permanence à chaque cycle avec un seul carburateur central.

Inutile donc dans ce cas d'espérer avoir une alimentation correcte et de ce fait, le constructeur a prévu le montage de 2 carburateurs reliés en un ensemble, soit un carburateur à double corps.

Le corps le plus proche de la culasse alimente 1 2 3 et le plus éloigné 4 5 6 dans un même sens pour chaque groupe, assurant ainsi un meilleur remplissage.

 

(On peut avancer que de ce fait, le montage de collecteur double carburateurs sur 15 SIX n'apporte quasiment rien sur l'efficacité du remplissage, et que certains montages laissent d'ailleurs songeurs sur la compréhension de la conception de l'alimentation de ce 6 en ligne, et en particulier ce que nous avons vu en B-)

 

1  2 et 5  6 ont un conduit long d'admission commun alors que 3 et 4 bénéficient d'une admission individuelle.

L'échappement, comme nous l'avons vu, est du type 6 en 2 avec un conduit individuel pour chacun des cylindres. L'idéal aurait été de scinder le collecteur d'échappement en deux groupes de 3 sorties directes et séparées, mais dans ce cas où caser le démarreur et la pompe à eau ?

 

collecteur3.jpg

 

 Cet ensemble, long et donc fragile, devra être monté avec le plus grand soin.

Idéalement, approcher sans les serrer, les 4 goujons solidarisant les collecteurs A et E, puis présenter l'ensemble sur la culasse munie des BONS JOINTS métalloplastiques suffisamment épais, huilés sur leurs deux faces, et serrer très progressivement les écrous graissés à la graisse haute température jusqu'à un couple maximum de 2 m.kg en partant du centre vers les extrémités, et finir en serrant les 4 goujons entre les deux collecteurs au même couple.

 

La culasse est enfin surmontée d'un joli couvre-culbuteurs en fonte d'alu, de forme étudiée pour passer juste sous le capot et assorti d'un bouchon basculant de remplissage d'huile latéral, infiniment plus pratique que celui des 4 cylindres.

 

Il est temps, en dernier point, de nous intéresser à l'équilibrage et la fixation de ce moteur, les solutions retenues étant ici aussi très différentes de ce qui a été fait pour les 4 cylindres, mais induites par un certain nombre d'observations du bureau d'études CITROËN sur les phénomènes vibratoires des moteurs à explosions.

 

1° L'équilibrage:

 

Plus on multiplie le nombre de cylindres, et donc la "découpe" de nos fameux 720°, plus nous obtiendrons une régularité cyclique améliorée, c'est à dire moins de variations angulaires de couple (on réduit les effets de  l'acyclisme) et un 6 en ligne sera ainsi plus régulier qu'un monocylindre, il est facile de s'en convaincre.

 

 

Pourquoi alors avoir retenu sur la 15 SIX le montage, a priori contradictoire, en bout arrière de vilebrequin d'un DAMPER amortisseur de vibrations angulaires ?

 

Les variations de couple liées à la décomposition des temps moteur sur un cycle complet de 720° restent acceptables pour des moteurs multi-cylindres aux vilebrequins compacts et courts. L'allongement inévitable du vilebrequin sur le 15 SIX a amené le constructeur à prudemment et fort justement le supposer plus fragile: Il se comporte en effet un peu à la manière d'une barre de torsion et cela entraine des vibrations de torsion qui peuvent, à certaines vitesses - et donc fréquences - amener une résonance de l'ensemble rotatif  débouchant sur une rupture du vilebrequin avec les conséquences qu'on imagine.

 

Le DAMPER s'impose donc bien ici, et il sera hors de question d'en modifier le réglage ou la masse.

Deux montages différents ont été retenus sur 15 SIX G puis D, mais la finalité reste la même.

 

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Disposition du DAMPER 15 SIX D.

 

 

2° La suspension du moteur:

 

 Sa conception est issue d'observations déjà analysées et maitrisées dans les années 30, dont nous devons retenir les deux principales pour comprendre la solution retenue:

 

a- Le fonctionnement d'un 4 cylindres est assorti d'un couple de renversement assez sensible lors de ses variations de régime, alors qu'un 6 cylindres en ligne en est quasiment exempt (passons sur la théorie de ce phénomène qui dépasserait le cadre de cette étude). On comprend de suite que la suspension 2 points + ressorts latéraux PAUSODYNE qui a fait merveille sur le 4 cylindres devient ici inutile.

 

b- Il en va de même des vibrations verticales engendrées par le fonctionnement du moteur, moins sensibles sur 6 que sur 4 cylindres (A l'extrême, les motards utilisateurs de moteurs mono-cylindre comprendront de quoi nous parlons).

 

CITROËN a donc fort justement retenu pour la 15 SIX une fixation et suspension triangulée du groupe moteur/boite en 3 points, un avant et deux latéraux (suspendu en un point avant et posé en deux points arrière) sur silentblocs caoutchouc qui suffisent à filtrer les vibrations modérées de l'ensemble.

 

15susp01.JPG

 

 

 

 

On s'aperçoit une fois de plus, à l'aide de ces quelques observations, que la conception et le développement du moteur 15 SIX restent le fruit de longues études et de choix techniques judicieux jusque dans les moindres détails.

 

Encore aujourd'hui, le connaisseur des TA 4 cylindres s'émerveille toujours du tour de force du constructeur d'avoir réussi à implanter cette motorisation sous le capot juste un peu rallongé d'une caisse Normale.

 

 

762608amoulin01.jpg

 

 

Cela rentrera t-il ?

 

 

bloc1.jpg

 

 

Oui, chaque chose à sa place !

 

 

 

 

Bien né, le 6 cylindres n'a pourtant pas évolué autant que son petit frère à 4 cylindres, restant tout au long de sa production d'un rendement faible de 26,85 Ch/Litre soit à peine mieux que le moteur de la 7A ! (24,55 Ch/Litre). La rançon de la fiabilité sans doute.

 

 

bloc.jpg

Le monstre de fonte prêt à rejoindre sa tanière

 

 

 

- Le sens de rotation:

 

 

 

 

Subsiste LE grand mystère de cette motorisation, que l'étude précédente n'éclaire hélas pas comme on l'aurait voulu: Le passage en 1947 d'un sens de rotation initial à gauche (vu de l'AV) à un sens de rotation à droite, ayant induit la modification de quasiment toutes les pièces du groupe moteur/boite, sans véritable changement de l'architecture générale ni du rendement.

Un travail énorme finalement, en regard d'un point de détail de sens de rotation qui n'a en rien affecté le succès de la formule 6 cylindres.

C'est à cette occasion que le moteur initial 6 cylindres est rebaptisé à postériori 15 "G"

 

Et pourtant, là aussi si l'on accordait un peu de réflexion à ce sujet en évitant soigneusement les âneries copiées et recopiées au fil des ouvrages "spécialisés" ?

 

Il est établi que le 15 G des débuts a bien été développé par M SAINTURAT, le père du 4 cylindres. L'ensemble est bien conçu comme un moteur de Traction, l'architecture générale, les pièces communes avec le 4 cylindres, la position des auxiliaires (allumage, carburateur) en attestent, il suffit de le regarder, et ce n'est donc pas un moteur d'utilitaire ou de camion adapté comme l'ont écrit certains.

 

On lit pourtant partout, et on colporte cette idée depuis toujours, que le 15 G tournerait dans le "mauvais sens" alors que selon nous il n'en est rien:

 

Explication et hypothèse:   Rôdé aux 6 cylindres en ligne depuis les C6 et ROSALIE 15, CITROËN a en toute logique extrapolé ces moteurs à la "sauce SAINTURAT" avec toute l'architecture que nous venons de voir.

Mais aurait alors été selon nous développé en toute logique un moteur tout à fait classique et identique dans son principe aux précédents (Rosalie et C6): Ordre d'allumage quasi universel des 6 en ligne de l'époque  (1 5 3 6 2 4 ) et moteur 15G tournant bien ... à Droite, du moins si on le monte dans une auto conventionnelle c'est à dire avec la distribution à l'avant, le volant à l'arrière et transmission aux roues arrière.

Si on le retourne de 180° pour le monter sous le capot de la 15 SIX, il tourne bien encore à droite, comme la quasi totalité de ses congénères d'autres marques, mais à condition de le regarder depuis sa distribution. Si on le regarde de l'avant il se met à tourner à l'envers comme par magie !

 

L'hypothèse, là aussi maintes fois colportée, de la nécessaire inversion du sens de rotation à cause des 3 arbres de boite ne tient pas plus: Il suffit d'inverser le sens de montage de la grande couronne du couple conique pour avoir le sens de marche que l'on veut, c'est d'une compréhension à la portée du moindre des apprentis de l'usine à l'époque.

 

Donc, il semble bien que le moteur "normal" de la 15 SIX soit bel et bien le 15G des débuts, un 6 en ligne dans toute sa simplicité conventionnelle, tournant à Droite vu depuis sa distribution et d'ordre d'allumage universel 1 5 3 6 2 4.

 

Que s'est il alors ensuite passé en 1947 pour que toute cette mécanique soit revue en profondeur pour tourner "à Droite" ? 

 

Hypothèse personnelle: Nous sommes encore au sortir de la guerre, la gamme Citroën est très limitée et le bureau d'études sait bien qu'il faudra faire durer la TA de longues années encore sans véritable révolution. Peut être alors par désir de cohérence de l'ensemble de la gamme, et pour une clientèle et des réparateurs qui ont pris l'habitude d'observer désormais les moteurs depuis l'avant sur les TA, on décide de faire tourner le 15 SIX à l'envers (mais oui !) c'est à dire à Gauche vu de la distribution. Comme nous l'avons vu plus haut, il faut alors adopter cet ordre d'allumage étrange 1 4 2 6 3 5 qu'on ne rencontre pas sur les 6 en ligne conventionnellement.

Le 15 D est donc bel et bien, au yeux du mécanicien rompu aux moteurs de cette époque, l'anomalie et non la norme.

 

 

 

 

proto 15D.jpg

 

 Photo très fréquemment incorrectement légendée: Il ne s'agit aucunement d'une 15G mais d'un prototype 15D photographié dans la cour de l'usine.

 

 

 

 

 

   



20/12/2019
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