Rouler en Traction avant

Rouler en Traction avant

La boite à 3 vitesses



Il ne s’agit pas, dans cet article, de revenir sur les méthodes de démontage, réglages et réparations qui sont déjà largement et efficacement détaillées dans le Manuel des réparations, que tout bon Tractionniste se doit de posséder, mais plutôt d’observer et comprendre certaines spécificités importantes de la Boite à vitesses de notre TA.

Premièrement, abordons le délicat sujet du nombre de rapports, aujourd’hui considéré parfois par certains comme une « tare majeure » de la Traction, alors qu’il n’en est rien si l'on y réfléchit un peu:


Toutes les TA, tous modèles confondus en 4 ou 6 cylindres (et même la 22 V8), sont sorties d’usine en boite 3 vitesses (comme d'ailleurs la majeure partie de la production automobile de l'époque !), seuls les 2° et 3° rapports étant silencieux et synchronisés, 1° et marche arrière restant en effet confiées à des engrenages à taille droite, bruyants mais robustes et surtout peu couteux à produire et installer, non synchronisés.

Ce n’est en rien un montage déficient ou « raté », mais bel et bien une parfaite adéquation à la fois au réseau routier de l’époque, aux usages de conduite correspondants, et aux spécifications techniques de la TA. Voyons cela :

Du temps des débuts de la commercialisation de la Traction, aucune autoroute n‘existe en France, et finalement peu de portions routières sont droites, bien recouvertes, sûres et autorisant des vitesses élevées (la passionnante consultation d'anciennes cartes MICHELIN est édifiante à ce sujet):

 

 

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No comment !

 

 

 

La BV3 est alors parfaitement adaptée, permettant en effet en quasiment toutes circonstances de « garder du moteur » tant pour les reprises éventuelles que pour l’utilisation du frein moteur aux décélérations.

C’est très net quand on conduit aujourd'hui encore une TA sur le réseau secondaire à sa vitesse de croisière normale, soit vers 80/90 Kms/H.

Si l’on écrase l’accélérateur, la voiture reprend très bien et accélère franchement et sans hésitation vers sa vitesse maximale, et si on le relâche on bénéficie de suite d’un frein moteur sensible : Le rapport supérieur de boite est parfaitement adapté à une conduite réactive, et sûre.


Sécurité: La TA est équipée de freins à tambours, efficaces certes, mais qui gagnent encore en vitesse de croisière et lors d'un freinage puissant à s’accompagner d’un frein moteur convaincant que ne permettrait pas la conduite en surmultipliée.


Le constructeur Peugeot, lors de la sortie de sa très réussie 203 en boite 4 avec 4° surmultipliée s’est ainsi heurté à un rejet d'une partie de sa clientèle traditionnelle qui se plaignait de la quasi absence de frein moteur sur le rapport supérieur, des accidents graves ayant même eu lieu de ce fait par des conducteurs inexpérimentés à ce type de conduite et surpris par ce phénomène.

De la même façon, à l’époque, le conducteur affectionnait de passer le plus tôt possible « en prise » (même si sur TA ce n’en est pas exactement une) c’est-à-dire sur le rapport supérieur, et ne plus en changer en toutes circonstances.

Aucun intérêt alors d’avoir des rapports multiples, et nécessité d’une troisième vitesse polyvalente permettant presque toutes les configurations de conduite et d’allure, ce qui est bien le cas avec la BV3 de la TA qui permet des reprises souples et sans changement de rapport depuis 35 Kms/H jusqu’à la vitesse maximum, tant sur les 4 cylindres que sur la 15 SIX.

On ne va donc quand même pas aujourd'hui reprocher à Citroën d’avoir vendu des autos équipées de boites de vitesse adaptées à la fois au réseau routier contemporain et aux usages et attentes de sa clientèle !

Encore faut-il être capable de le comprendre, ce que nous essayons de faire ici.

 

 

 

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Coupe de la boite des 4 cylindres

 

 

 

Les 11 en rapport de pont 9X31 développent 27 Kms/h aux 1000 Tours/minute sur le rapport supérieur.

Les 15 SIX développent 32 Kms/h.


Au début des années 50, toutefois, le réseau s’améliore (lentement) et certains concurrents commencent timidement à proposer des autos populaires en BV4, mais généralement avec des motorisations de plus petite cylindrée et de moindre couple moteur.

La TA reste en BV3, avec ses moteurs coupleux  (Pour les sceptiques, Citroën a monté le moteur 4 cylindres sur son camion U23, quand au 15 SIX il suffit de l'avoir essayé au moins une fois pour s'en convaincre !) qui se contentent de 3 rapports là où les concurrentes imposent des rapports plus nombreux pour accélérer de manière convaincante avec leurs petits moteurs qui tournent certes plus vite mais manquent cruellement de "coffre".

Cette précision apportée par FORD Grande Bretagne sur son modèle ANGLIA illustre d'ailleurs à la perfection notre propos:

 

 

 

 

 

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La boite "4" n'est pas présentée comme une amélioration par le constructeur lui-même, mais bien comme la correction d'un défaut !

 

 

 


 De plus, des projets extraordinairement futuristes sont déjà alors dans les cartons du bureau d'études de Citroën qui a bien d’autres chats à fouetter que "moderniser" la BV de ses TA, d’autant que pour les irréductibles des « 4 rapports » plusieurs accessoiristes se mettent alors à proposer des adaptations pour la Traction, certainement efficaces, mais qui n’auront finalement connu qu’un développement marginal si l’on en juge le très faible nombre de ces boites 4 vitesses adaptables parvenues jusqu’à nos jours : La boite d’origine devait à l'évidence bien convenir encore à la majorité des conducteurs, et certainement plus d’un prétendant s’est-il aussi fait une raison devant le prix particulièrement important de la transformation à l’époque.


Un dernier exemple significatif ? En 1955, le constructeur SIMCA sortait ses magnifiques et modernes VEDETTE à moteur V8  (Trianon, Versailles, Régence et Marly) en boite ... 3 vitesses ! (Et en 6 Volts): Pas si "Has been" que ça notre Traction, même en fin de carrière.

 

 

Quelques précautions d'usage et d'entretien:

 

A- Le graissage:

 

Nous en avons déjà parlé dans l'article dédié, employez une huile adaptée aux métaux jaunes, donc non agressive pour les bagues en bronze présentes dans la boite.

 

Au sujet de sa viscosité: Respectez la préconisation 80W90 sans céder à la tentation, surtout si la boite présente une usure générale, de mettre une huile plus visqueuse pour soi-disant atténuer le bruit ou les craquements lors du passage des vitesses: Si la boite est usée, il faut la réviser tout simplement et régler ses tringleries de commande, c'est la seule chose raisonnable à faire.

 

B- L'étanchéité:

 

Hormis les joints de carter, bien prendre soin des joints SPI des plateaux d'entrainement des cardans en sortie de boite, joints qui ne seront efficaces que si la portée de ces plateaux est impeccable. Il existe d'ailleurs des manchons de réparation très utiles. Pour le reste, voir également l'article "Huile de boite".

 

C- La conduite:

 

"Prenons notre temps, nous sommes pressés !" C'est bien ce dicton populaire, ô combien opportun ici, qui doit rester à l'esprit du conducteur avisé lors de chaque manœuvre du levier des vitesses: On décomposera soigneusement le mouvement, sans aucune hâte ni brutalité. Sur une boite en bon état et bien réglée ainsi que ses commandes, nul besoin de "recettes miracles" à base de passage en seconde avant la première ou autres agitations mystérieuses et loufoques du levier de commande.

 

Les rapports passent en effet normalement et en douceur, et la seule astuce consiste à prendre le temps qu'il faut pour cela, nous roulons en Traction en profitant du moment, et chaque geste de conduite doit rester du plaisir.

 

 

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Courbe parfaite, l'objet est beau et il suffit de tendre la main !

 

 

 

La boule du levier, idéalement placé au tableau de bord, tombe naturellement dans le creux de la main que l'on tend. Il suffit de l'actionner souplement d'un simple mouvement de l'avant-bras, presque sans bouger l'épaule. Sur 15 SIX, le déport plus prononcé du levier et l'amplitude plus importante de la commande semblent un peu moins pratiques et naturelles que sur les 4 cylindres lorsqu'on passe de l'une à l'autre, mais cela tient du détail.

 

Ce n'est en aucun cas une obligation, encore une fois sur une boite en bon état et bien réglée, mais vous pouvez pratiquer le "double pédalage" en montant les rapports ( 1 - 2 - 3) et le "double débrayage" en les descendant (3 - 2).

 

Rappelons les mystères de ces étranges et anciennes pratiques, qui nécessitent un peu d'entrainement pour le profane afin de se dérouler avec succès:

 

- Double pédalage: En changeant de rapport, on passe bien entendu par la position du point mort où l'on ré-embraye rapidement, moteur au ralenti, pour ralentir la vitesse de rotation de l'arbre primaire de la boite et ainsi faciliter le passage du rapport supérieur en harmonisant les vitesses des trains de pignons à engrener.

 

- Double débrayage: C'est exactement la même manœuvre sauf qu'au passage au point mort, on ré-embraye en relançant le moteur d'un coup de gaz, toujours dans le but d'harmoniser les vitesses de rotation des pignons et donc de ne pas faire craquer les vitesses et soulager le synchroniseur. Rappelons qu'on ne repasse pas la première en rétrogradant, sauf après l'arrêt complet de la Traction du fait de son absence de synchronisation.

 

 

 

L'accessoiriste GIRARD commercialisait pour les TA 4 cylindres, un système de levier de commande au volant, finalement assez complexe et d'un intérêt très limité dans la mesure où le déplacement du levier entre le tableau et le volant est anecdotique.

 

 

 

 

 

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Sélecteur GIRARD

 

 

 

 

 

Les boites "4" d'époque:

 

Nous entrons ici dans le domaine des accessoires rares. Divers constructeurs ou accessoiristes ont proposé des boites adaptables destinées selon les publicités à permettre tout d'abord une substantielle économie d'essence, par réduction du régime moteur en grande vitesse, s'accompagnant d'une logique réduction du niveau sonore.

 

Destinées aux "gros rouleurs" un très petit nombre de ces rares boites est parvenu jusqu'à nous.

 

Elles ont toutes les points communs suivants:

 

- Coût très élevé, imposant un très gros kilométrage pour devenir réellement rentables: (Par exemple en 1950 une boite REDA se tarifait, hors pose, 68 000 Frs là où une 11BL neuve coûtait 424 000 Frs !)

 

- Conception fragile:

 

De nos jours, leur réfection sérieuse s'adresse à d'excellents mécaniciens, équipés de machines-outils leur permettant de refabriquer intégralement certaines pièces, ou bien un recours à de la sous-traitance expérimentée sera nécessaire, les rares boites parvenues jusqu'à nos jours étant généralement "rincées".

 

 

 

REDA:

 

 

 

 

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Publicité d'époque. Salon 1950

 

 

 

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 Une REDA "en vrac" dans sa caisse. On aperçoit bien le renvoi de marche arrière sur le dessus de la boite, et la nouvelle grille des vitesses au tableau.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LEPICARD-DURIEZ:

 

Il ne s'agissait pas d'une boite adaptable stricto sensu, mais d'un ensemble de pignonnerie à monter dans le carter d'origine, qui était conservé, et du jeu de biellettes de commandes correspondant, ainsi que la nouvelle grille des vitesses avec le renvoi de marche arrière.

 

Bien entendu, le mieux restait de réaliser ce montage à l'occasion d'une grande révision de la BV d'origine vu le nombre d'heures nécessaires pour cela.

 

 

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Le différentiel restant également celui d'origine Citroën, on gardait le choix de plusieurs démultiplications possibles (8X31, 9X31, 10X31 et 8X35) selon le rapport final que l'on voulait obtenir.

 

 

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 La grille du levier et la commande annexe de marche arrière

 

 

 

 

 

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Le tableau des rapports de boite DURIEZ

 

 

 

COTAL:

 

 Basée sur le principe des trains épicycloïdaux, dont les couronnes sont freinées par une commande électromagnétique, cette boite offre, sur le papier, la perspective d'un fonctionnement doux et souple.

 

Dans la réalité, sa réalisation extrêmement "mastoc" et sa grosse consommation de courant en marche, viennent gommer un principe pourtant prometteur. Elle semble au vu de sa taille plus adaptée à un gros véhicule à propulsion, qu'à une implantation sous le capot d'une Traction.

 

 

 

 

 

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 C'est réellement encombrant (quand à l'esthétique...) !

 

 

 

 

Les "Moutons à 5 pattes":

 

 

Ils méritent une rubrique à eux seuls, révélateurs de libres exercices d'ingénieurs ou  vitrines d'un savoir-faire certain.

Il semble à ce jour, qu'aucun d'entre eux n'ait connu de réel développement pratique ni même pour certains dépassé le stade du prototype ou même de la planche à dessin.

 

 

 

 La Boite CHATELET-MICHELLET:

 

On est ici dans un montage très proche du principe de la boite COTAL avec des trains épicycloïdaux commandés par électroaimants. Le dernier rapport est surmultiplié et la boite était conçue pour être éventuellement accouplée à un embrayage GRAVINA à commande électrique combinée avec un fonctionnement centrifuge.

L'ensemble parait fort complexe et la moindre panne ou avarie devait se transformer en cauchemar de mécanicien !

 

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La boite CHATELET-MICHELLET pour Traction Avant

 

 

 

 

 

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Vue en coupe de l'embrayage GRAVINA. On a connu plus simple !

 

 

 

La boite DUYCK:

 

On est encore ici dans un système similaire à la boite COTAL ou CHATELET- MICHELLET.

 

Excepté ce schéma de fonctionnement, il n'a pas été possible de retrouver plus de documentation d'époque sachant que de tels montages ont dû rester anecdotiques, ou n'avoir jamais dépassé le stade du prototype. Ici, le concepteur a misé sur des changements de rapports en douceur via un freinage des trains avant leur verrouillage.

 

 

 

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Système DUYCK

 

 

 

 

 

 Le Bloc DYNAMATIC:

 

Ce montage, proposé par la Sté des fonderies PONT à MOUSSON n'est pas exactement une boite de vitesses mais un dispositif d'asservissement à dépression permettant le passage 2-3 et 3-2 sans recours au levier des vitesses au tableau.

Les passages de la 1ère et la marche arrière restent sous la commande du levier classique.

 

L'ensemble consiste en un bloc venant remplacer le couvercle supérieur de la boite d'origine, la pression de commande étant dérivée du circuit d'huile de la voiture.

 

Il semble, au vu de la documentation en notre possession, que deux versions ont existé, une se commandant via une manette sous le volant, l'autre plus automatisée, commandée par la position de la pédale d'accélérateur et se rapprochant ainsi de la boite automatique du moins pour le passage 2ème - 3ème. L'ensemble est couplé à un embrayage "Electric Drive" dont la commande d'embrayage se couple astucieusement avec la conjonction de la Dynamo dès que l'on quitte le régime de ralenti.

 

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 Servomoteur à dépression DYNAMATIC

 

 

 

 

 

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Schéma d'implantation sur la boite.

 

 

 

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Coupe de l'embrayage Electric Drive

 

 

 

 

 

Le système KEGRESSE "Autoserve":

 

On trouve mention, dans des ouvrages d'époque sur la TA, d'un prototype pour 11CV d'une boite entièrement automatique élaborée par Kégresse, réalisant le passage des vitesses et l'embrayage, en fonction de la vitesse du moteur et de sa charge. La commande se fait via de l'huile mise sous pression par une pompe interne à la boite (comme les OVERDRIVE Laycock de Normanville) entrainée par le moteur. Il semblerait que deux prototypes aient été fabriqués, un monté en 1939 et un deuxième à 4 vitesses, très élaboré, présenté au salon de Paris 1947:

 

 

 

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 La magnifique réalisation KEGRESSE, stupéfiante de modernisme pour l'époque. On ne peut s'empêcher de la rapprocher des boites robotisées des DS à commande hydraulique ! Qui a copié qui ?

 

 

 

 Que dire, en conclusion de tout cela ?  La boite des Tractions, bien réglée et en bon état s'entend, reste un organe fiable et d'une utilisation souple et agréable, de gros rouleurs pouvant encore en attester en nombre.

 



07/03/2024
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